A la Une : Ha Chau


Le 20 octobre 2011, le milieu des arts martiaux du Vietnam a perdu un de ses grands maîtres.  Très connu pour ses démonstrations de l'extrême, Ha Chau est un maître de Thieu Lam Hong Gia (Hung Gar).  Ses prouesses témoignent des résultats que peut atteindre un pratiquant d'un style dit externe. Homme d'action plutôt que de discours, il avait, toutefois, accepté de répondre sans détour à nos questions . La traduction a été assurée par son disciple Philippe Gaudin.

 Hommage à un personnage hors normes.

Quel est votre parcours?
H.C. : Je suis né le 19 août 1925 à Ba Xuyêng qui se trouve au sud du Vietnam. L'ancien nom de Ba Xuyên était Sóc Trăng. Ma famille appartient à la communauté chinoise du Vietnam et mon père était un maître de Thiếu Lâm Hồng Gia. A 9 ans j'étais physiquement faible et j’ai donc commencé à faire du Thiếu Lâm Hồng Gia sous la tutelle de mon père afin d'améliorer ma constitution. Mais j’ai vraiment commencé à étudier le Thiếu Lâm Hồng Gia à l'âge de 11 ans.

Après un certain nombre d’années d’entraînement j'ai été recommandé par ma famille auprès du maître  Trinh Lûan, un autre maître de Thiếu Lâm Hồng Gia. Je suis donc allé vivre à Hong Kong pour étudier sous sa direction. J’étais son seul disciple. Il n'avait pas d’autres élèves. Je m’entrainais dans sa maison. Quelques années plus tard, je suis rentré au Vietnam accompagné de mon maître sur la demande de mon père.

Maître Trinh Lûan décédera plus tard au Vietnam.

Pouvez-vous nous préciser la durée de votre séjour à Hong Kong?
H.C. : Il est difficile d'être vraiment  .précis. parce qu'à cette époque on n'avait pas coutume de tout mettre par écrit comme de nos jours. Je passais tout mon temps à m’entraîner. Mais, j'ai du rester approximativement entre 7 et 9 ans à Hong Kong.

Quelle est votre lignée martiale?
H.C. : A l'origine il y a les cinq ancêtres de Shaolin : Hồng, Lưu, Lý, Mạc, Thái. Le Thiếu Lâm Hồng Gia fait référence à la boxe d'un de ces cinq ancêtres : Hồng. Il s'est diffusé jusqu'à Trinh Hoa. Il n’y avait pas d’école. Trình Hoa a du quitter la Chine pour aller vivre à Hong Kong  quand le temple de Shaolin a brûlé. Trình Hoa a eu 4 à 5 disciples dont Trình Luân, qui était son neveu de sang. Trình Luân a eu, pour sa part,  un seul, disciple. Moi.

J'ai quelques élèves proches comme Ho Van Ly. Sinon beaucoup de gens à travers le monde viennent me voir pour travailler auprès de moi. Il y a ainsi des italiens de Rome et de Bologne qui pratiquent déjà un autre style qui viennent me voir.

Et où se situe le célèbre pratiquant de Hung Gar Wong Fei Hung par rapport à votre lignée?
H.C. : Wong Fei Hung est de la même génération que Trình Hoa

Pourquoi ne vouliez-vous pas ouvrir d’école officielle?
H.C. : Ouvrir une école d'arts martiaux implique des obligations. On doit, par exemple, accepter tout le monde. On doit en particulier s'occuper d'enfants même si ceux ci ne veulent pas travailler. Or  enseigner à des enfants qui ne veulent pas étudier ou qui ne savent pas ce qu’ils veulent n'est pas ce que j'aime particulièrement.  Pour toutes ces raisons, j'ai préfèré de ne pas ouvrir d'école d'arts martiaux.

Quel a été ou quel est votre métier?
H.C. : A une période j'ai gagné ma vie en faisant des démonstrations. Ensuite  j'ai eu plusieurs métiers comme professeur de calligraphie ou proviseur dans un établissement scolaire en 1975. Il faut savoir que je n’ai reçu aucun diplôme. Cependant ma spécialité est de fabriquer des armes traditionnelles.

Parlez nous de cette période de démonstrations.
H.C. : J'ai commencé à faire des démonstrations en 1950 ou 1951. Cela a duré entre 15 et 20 ans. Lors de ces démonstrations, il y avait une partie assurée par un boxeur de boxe anglaise qui s'appelle Minh Canh. Après son combat, je faisais diverses démonstrations.  Une de ces démonstrations consistait, par  exemple, à renverser des bœufs (ndlr : il fait un geste mimant le reversement du bœuf par une saisie de ses cornes).

On tournait à travers tout le Vietnam. Malgré tout, cette période de démonstration était assez difficile du point de vue financier.

Ensuite, j'ai même fait des démonstrations après la libération, comme celle de la grande poste d’Ho Chi Minh Ville. J’avais à ce moment environ 70 ans.

Y avait-il des gens qui voulaient vous tester?
H.C. : Oui. J'ai, une fois, accepté de faire un combat avec les gants. Ce match là, je l’ai perdu. Or en Thiếu Lâm, les combats se font sans gants et sans protections comme les coquilles. Par la suite, je n’ai accepté que des combats à mains nues. Perdre ne me fait pas peur.

Mon dernier combat en démonstration s'est déroulé contre un cambodgien. Il craignait le contact de mes bras. Il savait que si je le touchais je lui aurais fait mal.  Donc dès que j’approchais il reculait pour garder une certaine distance. A un moment, il a donné un coup de pied que  j'ai réussi à saisir. Et je lui ai cassé son tibia.

Y avait-il des combats au sol?
H.C. : Oui, certaines fois il arrivait qu'on se fasse amener au sol.

Avez-vous des modèles dans votre pratique? Et quels sont les personnes pour lesquels vous avez du respect
H.C. : Non, je ne me suis identifié à personne en particulier.

Je n’ai pas non plus un très grand grand respect pour quelqu'un en particulier. Mais j'apprécie certaines personnes tel  que Minh Canh.

Dans les démonstrations vous portez une cape et une ceinture avec une grosse boucle. Cela a-t-il une signification?
H.C. : Autrefois, les boxeurs avaient cou- tume de porter une cape. C'était un signe de respect vis à vis du public.  J'ai gardé cette habitude. Je vais faire une analogie avec le monde du travail. Être bien habillé est un signe de respect envers les personnes que l'on rencontre sur le lieu de travail.

Mais, de nos jours, j'ai conscience que les professeurs d'arts martiaux (võ sư) n’osent pas en porter une en démonstratrion de peur d'être ridicule. En avoir une sur le dos signifierait qu'on a vraiment quelque chose de spécial. 

Quand à la ceinture, elle est en cuir et non en tissu. Lors des démonstrations de nội công (travail interne) il est important qu'elle soit en cuir. De même les gens n’osent pas mettre une grosse ceinture. Mais jusqu’à présent je n’ai pas non plus vu d'autres võ sư đại lực sĩ (athlète)

P.G. : Il faut savoir que le terme d'"athlète" signifie ici d'avoir la capacité de réaliser de grandes performances en nội công.

Quel est votre motivation première pour la pratique des arts martiaux?
H.C. : J’ai commencé dans l'optique d'être plus fort physiquement. Un jour mon maître  a dit à mon père «celui là il a un don. S’il continue il aura un bien meilleur niveau que tous les deux réunis».


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