Des boxeurs à l'épreuve des balles?

Dans la Chine mandchoue, les sociétés secrètes entretenaient des rapports intimes avec les pratiquants d'arts martiaux populaires. En 1900, quand les Boxeurs se révoltent contre les Occidentaux, leurs chorégraphies martiales saupoudrées de superstitions les mènent tout droit à une issue fatale.
Ce vendredi 15 juin 1900, Mgr Favier et 3420 réfugiés sont acculés dans la cathédrale de Saint-Sauveur à Pékin. À l'extérieur de l'établissement, une foule innombrable de Boxeurs vêtus de rouge approchent en rangs serrés dans une odeur d'encens. Prostrations et incantations en bonne et due forme ont précédé l'assaut. Aussitôt que les attaquants franchissent les deux cents mètres qui les séparent du bâtiment, les fusiliers marins assiégés ouvrent le feu. Une cinquantaine de Boxeurs tombent sous les balles des fusils Lebel, provoquant la fuite de leurs congénères. Cinq sabres et une lance jonchent le sol ensanglanté.
Ces armes rudimentaires viendront compléter le maigre arsenal des réfugiés. La défense de l'église est assurée par trente marins français commandés par l'enseigne de vaisseau Paul Henry, âgé de vingt-trois ans, et dix marins italiens. Tous sont arrivés les premiers jours de juin du port de Tianjin, situé à environ cent cinquante kilomètres de Pékin. Pour défendre un périmètre de 1 360 mètres, ils disposent en tout et pour tout d'une quarantaine de fusils, de quelques sabres émoussés et de cinq cents lances. Malheureusement pour les assiégés, les fanatiques sont appuyés par des troupes régulières, dotées d'une artillerie moderne. Quatorze canons Krupp tirent sans relâche des obus Schrapnel du dernier modèle. Les soldats impériaux sont armés de fusils Mauser. À leurs côtés, les Boxeurs décochent des flèches enflammées et lancent des bombes incendiaires. Le contraste entre les forces en présence est saisissant.

Pour autant, l'obsolescence de l'armement des Boxeurs n'a d'égale que leur férocité à pourchasser les chrétiens de Chine. Deux jours avant l'assaut de l'église de Saint-Sauveur, les assaillants ont incendié la cathédrale de Saint-Joseph aux cris de « sha ! sha ! shao ! shao » (« tuons ! tuons ! brûlons ! brûlons ! »). Le Père Garrigues et trois cents Chinois convertis au catholicisme ont péri dans les flammes. Au contraire des rebelles Taiping, les Boxeurs sont en effet motivés par de forts sentiments anti-chrétiens, exacerbés par l'autorisation qui a été donnée aux missionnaires d'accéder librement à tout le pays depuis 1 860. Dans son journal, Mgr Favier cite les exigences adressées par les Boxeurs aux Chinois réfugiés dans la cathédrale de Saint-Sauveur : «Vous, chrétiens, enfermés au Beitang, réduits à la plus profonde misère, mangeant des feuilles d'arbre ; pourquoi résister avec tant de rage quand vous ne le pouvez plus ? Nous avons contre vous des canons et des mines, et vous sauterez tous avant peu. Vous avez été trompés par les diables d'Europe, revenez à l'ancienne religion de Fouo, livrez-nous Mgr Favier et les autres, vous aurez la vie sauve et nous vous donnerons à manger. Si vous ne le faites pas, vous vos femmes et vos enfants, serez tous coupés en morceaux. »

Selon certains historiens, cette haine du catholicisme puiserait ses racines dans la secte séculaire du Lotus Blanc, d'affiliation bouddhiste. La Société du Poing de la Justice et de la Concorde (Yihe Quan), dont les Boxeurs sont les adeptes, ne serait ainsi qu'une branche du Lotus Blanc. Elle apparaît au grand jour en 1 898 dans la province du Shandong, au nord de la Chine (mais au sud de Pékin). Des témoignages rapportent que dans cette région, à partir de mai 1900, les Boxeurs arrêtent les chrétiens, les conduisent à des temples bouddhistes, et les font s'agenouiller devant les autels pour qu'ils abjurent leur Dieu sous peine de mort. Les massacres se répandent rapidement dans les campagnes.

Du Meihua Quan au Yihe Quan

Le socle du mouvement des Boxeurs est en effet formé par de jeunes paysans recrutés dans de petites compagnies où sont enseignés mouvements gymniques et incantations taoïsantes. En s'appuyant sur des superstitions très répandues dans les campagnes, les recruteurs ont pour tâche de convaincre une masse d'illettrés que ces rituels leur procureront une invulnérabilité (contre les balles en particulier). La formation des jeunes recrues aux techniques de combat étaient sûrement assez sommaire. Certains maîtres d'arts martiaux mirent leurs compétences au service de cette cause. Ainsi, les maîtres de la Boxe de la Fleur de Prunier (Meihua Quan) de la province du Hebei sont réputés avoir joué le plus grand rôle dans la rebellion. L'origine du nom de cette école serait liée au printemps, saison favorable à l'organisation d'échanges entre pugilistes dans les foires et marchés. C'est à l'occasion de l'une de ces manifestations, dans la ville de Liyuantun en avril 1897, que les disciples du célèbre Zhao Sanduo (1841 -1902) s'opposèrent violemment aux chrétiens qui construisaient une église pour leur communauté.

Quand la participation du maître aux conflits avec les autorités locales devint trop gênante pour les patriarches du Meihua Quan, celui-ci fut invité à adopter un nouveau nom, la Boxe de la Justice et de la Concorde (Yihe Quan), désignation qui fut plus tard reprise par l'ensemble des rebelles anti-chrétiens.

Aujourd'hui, les habitants de cette région (située entre Shijiazhuang et Jinan) revendiquent fièrement l'héritage laissé par Zhao Sanduo et ses partisans. Dans certaines écoles primaires, l'apprentissage du Meihua Quan est devenu obligatoire depuis 2009. Ce style appartient depuis 2006 à la liste des « héritages culturels intangibles ». Un immense complexe sportif dédié au Meihua Quan devrait voir le jour dans les années qui viennent. Cependant, les autorités chinoises prennent garde à ce que ce type d'initiatives n'offense pas les investisseurs étrangers. La croissance économique pourrait en effet pâtir de l'héritage sanglant des Boxeurs.

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